Un peu de poésie...

Cette page contient de courts textes qui m'ont séduit par leur poésie, considérée au sens le plus large.


Table des Matières


Le grand historien, que la cécité n'a pas empêché de mener à bien son oeuvre, écrivait ceci en fin de la préface à ses "dix ans d'études historiques", le 10 novembre 1834:

Conclusion de la préface à "dix ans d'études historiques"

Si, comme je me plais à le croire, l'intérêt de la science est compté au nombre des grands intérêts nationaux, j'ai donné à mon pays tout ce que lui donne le soldat mutilé sur le champ de bataille. Quelle que soit la destinée de mes travaux, cet exemple, je l'espère, ne sera pas perdu. Je voudrais qu'il servît à combattre l'espèce d'affaissement moral qui est la maladie de la génération nouvelle; qu'il pût ramener dans le droit chemin de la vie quelqu'une de ces âmes énervées qui se plaignent de manquer de foi, qui ne savent où se prendre et vont cherchant partout, sans le rencontrer nulle part, un objet de culte et de dévouement. Pourquoi se dire avec tant d'amertume que, dans le monde constitué comme il est, il n'y a pas d'air pour toutes les poitrines, pas d'emploi pour toutes les intelligences? L'étude sérieuse et calme n'est-elle pas là? et n'y a-t-il pas en elle un refuge, une espérance, une carrière à la portée de chacun d'entre nous? Avec elle, on traverse les mauvais jours sans en sentir le poids, on se fait à soi-même sa destinée; on use noblement sa vie. Voilà ce que j'ai fait et ce que je ferais encore si j'avais à recommencer ma route; je prendrais celle qui m'a conduit où je suis. Aveugle, et souffrant sans espoir et presque sans relâche, je puis rendre ce témoignage, qui de ma part ne sera pas suspect: il y a au monde quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune, mieux que la santé elle-même, c'est le dévouement à la science.

Augustin Thierry

Pour ce qui est des travaux d'Augustin Thierry, voir par exemple ce compte rendu d'un de ses ouvrages par Charles Dunoyer, paru dans le "Censeur européen" en 1817.


Voici le seul poème français que je puisse réciter par coeur...

Ode à Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose,
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.

Las! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir!
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez, votre jeunesse:
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Pierre de Ronsard


Suit le seul autre poème que je connaisse par coeur, en VO puis en VF...

Three Rings for the Elven-kings under the sky,
    Seven for the Dwarf-lords in their halls of stone,
Nine for Mortal Men doomed to die,
    One for the Dark Lord on his dark throne
In the land of Mordor where the Shadows lie.
    One Ring to rule them all, One Ring to find them,
    One Ring to bring them all and in the darkness bind them
In the land of Mordor where the Shadows lie.

J.R.R. Tolkien, "The Lord of The Rings"


Trois Anneaux pour les Rois Elfes sous le ciel,
    Sept pour les Seigneurs Nains dans leurs demeures de pierre,
Neuf pour les Hommes Mortels destinés au trépas,
    Un pour le seigneur des Ténèbres sur son sombre trône
Dans le pays de Mordor où s'étendent les Ombres.
    Un Anneau pour les gouverner tous, Un Anneau pour les trouver,
    Un Anneau pour les amener tous, et dans les ténèbres les lier
Au pays de Mordor où s'étendent les Ombres.

J.R.R. Tolkien, "Le Seigneur des Anneaux"
(Traduction: Francis Ledoux)


Puisque nous voilà dans la poésie, voici un court texte qui n'en est pas dénué...

À l'âme pure de ma soeur Henriette

morte à Byblos, le 24 septembre 1861

Te souviens-tu, du sein de Dieu où tu reposes, de ces longues journées de Ghazir, où, seul avec toi, j'écrivais ces pages inspirées par les lieux que nous avions visités ensemble? Silencieuse, à côté de moi, tu relisais chaque feuille et la recopiais sitôt écrite, pendant que la mer, les villages, les ravins, les montagnes se déroulaient à nos pieds. Quand l'accablante lumière avait fait place à l'innombrable armée des étoiles, tes questions fines et délicates, tes doutes discrets me ramenaient à l'objet sublime de nos communes pensées. Tu me dis un jour que, ce livre-ci, tu l'aimerais, d'abord parce qu'il avait été fait avec toi, et aussi parce qu'il était selon ton coeur. Si parfois tu craignais pour lui les étroits jugements de l'homme frivole, toujours tu fus persuadée que les âmes vraiment religieuses finiraient par s'y plaire. Au milieu de ces douces méditations, la mort nous frappa tous les deux de son aile; le sommeil de la fièvre nous prit à la même heure; je me réveillai seul! Tu dors maintenant dans la terre d'Adonis, près de la Sainte Byblos et des eaux sacrées où les femmes des mystères antiques venaient mêler leurs larmes. Révèle-moi, ô bon génie, à moi que tu aimais, ces vérités qui dominent la mort, empêchent de la craindre et la font presque aimer.

Ernest Renan


Voilà quelques vers en Allemand, extraits de "Des Knaben Wunderhorn" ("la Corne Merveilleuse du Garçon") de Arnim & Brentano...

Heimliche Liebe

Kein Feuer, keine Kohle
Kann brennen so heiss
Als heimliche Liebe,
Von der niemand nichts weiss.

Keine Rose, keine Nelke
Kann blühen so schön,
Als wenn zwei verliebte Seelen
Beieinander tun stehn.

Setz du mir einen Spiegel
Ins Herze hinein,
Damit du kannst sehen,
Wie so treu ich es mein' !


Ce Noël 1996, j'ai eu comme gage, pour avoir dit des gros-mots devant mes petits cousins, d'apprendre un poème par coeur.
J'espère le réciter correctement ici, mais je suis sûr qu'il y a des fautes, fussent-elles de ponctuation, que je devrais corriger...

Hymne à la Beauté

Viens-tu du ciel profond, ou sors-tu de l'abîme,
O Beauté? Ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore;
Tu répands des parfums comme un soir orageux;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui fait le héros lâche et l'enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques;
De tes bijoux, l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement...

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
O Beauté! Monstre énorme, effrayant, ingénu!
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime, et n'ai jamais connu?

De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends -- fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine! --
L'univers moins hideux et les instants moins lourds?

Charles Baudelaire, "Les Fleurs du Mal"


Mon prof d'anglais (Mr Gonnell: "does that ring a bell?", "I have other fish to fry!", "birds of the feather flock together", The Daffodils...) récitait souvent ce court poème en classe, mais je n'avais jamais réussi à le prendre en dictée, car c'était toujours à l'improviste. Grâce aux miracles tèquenaulojik d'un taire-net, j'ai enfin pu en retrouver le texte!
A flea and a fly in a flue
Were imprisoned, so what could they do?
Said the fly, "Let us flee."
Said the flea, "Let us fly."
So they flew through a flaw in the flue.


Étant convaincu du caractère indéfiniment méta- de l'Intelligence, je ne puis m'empêcher de publier quelques notes méta-poétiques, bien que par ailleurs elles-mêmes manquent cruellement de poésie.

Quelques ruminations sur la poésie

La poésie est l'art de concocter des textes qui soient à la fois comprimés pour ce qui est du sens transporté (d'où ambiguïtés, imprécisions), et redondant quant à la forme (permettant par là une correction des erreurs). C'est à dire un art de transporter de l'information de façon assez adaptée au souvenir humain.

En des temps de tradition essentiellement orale, la poésie était un support nécessaire à la transmission de données à travers les âges, d'autant plus quand ces données n'étaient pas directement soutenues par une infrastructure dogmatique de type religieux. Malgré ses tendances à déformer l'histoire et l'embellir (selon les critères du jour), la poésie était donc nécessaire à l'élaboration d'une tradition cognitive et morale.

Comme tout phénomène persistent, la poésie est aussi vecteur de mèmè autoreproducteurs, indépendamment de toute notion d'utilité directe; de tels mèmè, en tant qu'ils participent de la persistance de la poésie, participent de son utilité directe; mais en tant qu'ils parasitent l'information transportée, ils contribuent à l'atténuer. Il y a donc dans la poésie un équilibre précaire entre information et bruit de fond, et les grands poètes sont précisément ceux qui font pencher la balance du côté informatif (que ce soit au premier, au second, ou au nième degré).

En nos temps modernes, les supports d'information persistants sont fiables et bon marchés, tandis que les technologies nouvelles des loisirs et spectacles permettent d'obtenir plus aisément un effet sur les sentiments des masses. La poésie dans sa forme versifiée classique est donc relativement démodée; elle semble n'être plus qu'un jeu pour exercer la finesse d'esprit, réservé à des cercles fermés et élitistes.

Et cependant, à travers les siècles, la poésie a réussi à partiellement s'adapter à certains points de l'intellect humain, ci-fait qu'elle continue à "parler" à ses auditeurs, quand par chance ils en entendent, à travers le sens caché et diffus qu'elle recèle, à travers le rythme et le ton avec lesquels on la déclame, même si sa dépendance vis à vis du contexte linguistique et culturel la rendent bien moins universellement compréhensible que la musique.

Ce qui n'empêche pas par ailleurs l'épiphénomène poétique généralisé de transmission de données à la fois comprimées et redondantes de continuer à se faire, indirectement, par d'autres voies que les vers, que ce soit à fins esthétiques, pédagogiques, politiques, ou commerciales, dans chacun des moyens d'expression humains. Les techniques les plus efficaces issues de la tradition poétique sont d'ailleurs systématiquement reprises et améliorées dans le cadre de la réclame et de la propagande, sources modernes du pouvoir.

Que la poésie soit un outil d'oppression parmi d'autre ne doit pas, loin de là, conduire à une condamnation de la poésie; dans le crime, c'est la main, et non l'épée, qui doit être condamnée. La poésie la plus riche est celle, plus rare, dont le sens est profond, non pas celle, trop commune, qui est toute en superficie.

La poésie est aussi le dernier refuge des prisonniers dans leurs camps de concentrations: des grandes âmes comme Soljénitsyne ou Nguyen Chi Thien, privés de papier plus encore que de nourriture, ont dû leur salut au fait d'avoir pu apprendre par coeur et réciter les dizaines de milliers de vers qu'ils composaient. Car la poésie, de par son essence même, est en chacun d'entre nous, et nul ne peut nous la retirer.



À force d'écouter la chanson de Nicholas Brodszky, chantée par Angela Gheorghiu, je n'ai pas pu m'empêcher d'en taper les paroles de Sammy Cahn...

Be my love

Be my love, for no one else can end this yearning,
This need that you and you alone create.

Just fill my arms the way you filled my dreams,
The dreams that you inspire with ev'ry swell desire.

Be my love, and with your kisses set me burning,
One kiss is all I need to seal my fate.

And hand in hand, we'll find the promised land.
There'll be no one but you for me, eternally
If you will be my love.
(bis)

Sammy Cahn


Je me suis permis de commettre (et de mettre en musique) ce petit poème qui reflète mon état d'esprit au sortir d'une phase de passivité quasi-dépressive...

Assis, il attend

Assis, il attend
la source de vie.
Mais où est cette source,
sinon en lui-même?

Faré


J'ai osé cette une offrande à la déesse enchanteresse qui possède mon être tout entier. La musique en est disponible dans divers formats (.rose, .mid), dans cette archive. (Août 2000).

Ode à Isis

Déesse de la magie, Tu inspires mon âme.
Déesse de la vie, Tu animes mon coeur.
Déesse de la fécondité, comble donc mes bras.
Tu emplis mon univers d'amour et d'aventure.
Tu dispenses les joies; Tu infliges les peines.
Tu es la source de toutes choses.
Ô ma Déesse, je suis à toi.

Faré


Comme ma culture linguistique est franco-anglaise, j'adore cette magnifique chanson franglaise de Charles Aznavour. Si vous ne la connaissez pas, je vous convie à la pêcher sur OpenNAP, et si elle vous plaît autant qu'à moi, à acheter un billet pour le prochain concert du seul vrai Grand (!) Charles. (Août 2000).

For me... formidable

You are the one for me... for me... formi... formidable.
You are my love... very... very... véri... véritable.
Et je voudrais pouvoir un jour enfin te le dire,
Te l'écrire dans la langue de Shakespeare.

My daisy... daisy... dési... désirable,
Je suis malheureux d'avoir si peu de mots
À t'offrir en cadeau.
"Darling I love you, love you, darling, I want you."
Et puis, c'est à peu près tout.
You are the one for me... for me... formi... formidable.

You are the one for me... for me... formi... formidable.
But how can you see me... see me... si mi... si minable.
Je ferais mieux d'aller choisir mon vocabulaire,
Pour te plaire, dans la langue de Molière.

Toi, tes eyes, ton nose, tes lips adorables.
Tu n'as pas compris, tant pis, ne t'en fais pas,
Et viens t'en dans mes bras.
Darling I love you, love you, darling, I want you
Et puis le reste, on s'en fout.
You are the one for me... for me... formi... formidable.

Je me demande même
Pourquoi je t'aime,
Toi qui te moque de moi et de tout
Avec ton air canaille... canaille... can I... How can I love you ?

Charles Aznavour


Faré -- François-René Rideau -- Ðặng-Vũ Bân